"Des livres et des luttes : Moi, Silvio de Clabecq, militant ouvrier"
Ce 4 mars 2020, nous avons organisé un événement autour des histoires et identités des italiens de Belgique. À cette occasion, des membres du Comité Belge ont été invités pour présenter la bande dessinée « Une histoire importante. 70 anni di immigrazione italiana in Belgio e oltre » parcourant de manière panoramique les grandes dates, figures et réalités de l’immigration italienne en Belgique. Des participants et des proches de notre association étaient présents afin d’amener leurs propres récits et réflexions sur la question. Parmi ceux-ci, des « anziani », arrivés en Belgique entre les années 50 et 70 pour intégrer l’industrie alors dynamique de la Belgique, des membres des deuxième et troisième générations, descendants de mineurs, d’ouvriers et d’ouvrières, présentant une identité mixte fruit du déracinement,
L’ouvrage se présente comme un outil à finalité pédagogique pour partager l’« histoire importante » d’une des principales communautés immigrées en Belgique, communauté ayant plusieurs visages : les mines, les ouvriers, la place particulière des femmes, les discriminations, les métissages, les langues et dialectes, les figures populaires, les drames, les experts, les luttes, les enfants et petits-enfants… La volonté des scénaristes a été de mettre en évidence la pluralité d’un phénomène difficilement synthétisable en une seule image et de profiter de ce regard en arrière sur les difficultés vécues par les anciennes migrations pour se questionner celles d’aujourd’hui. La vague de l’après-guerre, avec son lot de drames, des mines aux discriminations, en passant par la pauvreté extrême et le déracinement, et celle des années 70′-80′, principalement dirigées vers l’industrie, sont celles qui sont les plus mises en avant. La situation particulière des deuxièmes et troisièmes générations y tient également un lieu important, de même que les difficultés rencontrées en terme « d’intégration » par les immigrés de la seconde moitié du XXe siècle et leurs enfants. Un lien dans le temps mène le lecteur à l’aujourd’hui. À plusieurs reprises sur retrouvées des références aux drames migratoires en cours en Europe, notamment en Italie et en Belgique, des navires bloqués au large des côtes italiennes aux migrants du parc Maximilien. Les italiens sont arrivés depuis peu en Belgique et sont des expatriés évoluant autour des institutions européennes, des étudiants Erasmus. Après la présentation de la bande dessinée, la parole a été laissée au public et aux associations présentes avec cette question :
Domenico, fidèle du Casi de la première heure, fils de mineur arrivé en Belgique en 1956 à 17 ans ayant échappé de justesse aux mines, a travaillé toute sa vie dans l’industrie belge. Militant syndical engagé dans la défense des droits des travailleurs et travailleuses immigrés, il a insisté sur la nécessité de raconter ces histoires et ces luttes passées et de rappeler aux générations présentes que leurs droits ont été conquis par des combats collectifs, unissant des immigrés provenant de différents lieux à des belges subissant eux aussi des conditions de vie et de travail pénibles.
« L’Europe a été créée, mais il faut encore créer les européens. » Domenico est l’un des membres du groupe des anziani, composé de femmes et d’hommes arrivés en Belgique dans leur jeunesse qui se rencontre chaque semaine au Casi pour discuter, se questionner, se former, s’exprimer. Ces aînés, incarnant des décennies d’histoire migrante et populaire, sont engagés dans la transmission de leur passé commun : ils savent que leur histoire doit être racontée et partagée, par devoir de mémoire, mais aussi, parce que, nous ont-ils dit « L’histoire d’hier doit servir pour améliorer le demain ». Chi non sa sa colombe viene non sa colombe va. L’histoire se répète cycliquement,
Sara vient de Sicile, Franca de Campanie et Alberto de Calabre, ils fréquentent assidûment les tables de conversation en français du Casi, ils ont porté leur voix de nouveaux migrants italiens, tous trois sont en effet arrivés depuis moins d’un an à Bruxelles. Pour eux, l’histoire de l’immigration italienne en Belgique se présente de manière bien particulière : s’ils portent en eux les récits migratoires depuis toujours, – comme Alberto qui petit avait l’habitude d’appeler des oncles et tantes ayant émigré aux quatre coins du globe -, si la question migratoire les a toujours touchés, – comme Sara qui s’est toujours engagée en Italie pur accompagner les migrants y arrivant – , il n’est pas automatique lorsqu’on arrive en Belgique en tant qu’ ‘italien aujourd’hui que l’on se sente partie de cette longue histoire : en effet, comme le soulignait Franca, rien ne dit qu’ils resteront ici toute leur vie. S’identifier à un « immigré » n’est pas automatique, et ce n’est certainement pas léger « contrairement à ce qu’on raconte, on ne quitte pas toujours notre pays par choix : c’est souvent une nécessité, on n ‘a pas le choix » nous dit Sara, tandis que Franca ajoute « partir c’est pas parce que fuir ailleurs, c’est aussi vouloir s’enrichir pour après pouvoir rentrer chez soi, y rapporter ce qu’on a appris. » Par ailleurs, ces jeunes gens ne se reconnaissent pas toujours dans les récits dominants sur l’immigration italienne actuelle. on n’a pas le choix » nous dit Sara, tandis que Franca ajoute « partir c’est pas forcément fuir ailleurs, c’est aussi vouloir s’enrichir pour après pouvoir rentrer chez soi, y rapporter ce qu’on a appris. » Par ailleurs, ces jeunes gens ne se reconnaissent pas toujours dans les récits dominants sur l’immigration italienne actuelle. on n’a pas le choix » nous dit Sara, tandis que Franca ajoute « partir c’est pas forcément fuir ailleurs, c’est aussi vouloir s’enrichir pour après pouvoir rentrer chez soi, y rapporter ce qu’on a appris. » Par ailleurs, ces jeunes gens ne se reconnaissent pas toujours dans les récits dominants sur l’immigration italienne actuelle.
« Pour réaliser un Erasmus, encore faut-il que l’on puisse avancer l’argent nécessaire, car les bourses sont données à la fin du programme. »
« On n’est pas tous des cervelli in fuga qui réussissent glorieusement leur vie à Bruxelles. Certains ont des diplômes, oui, mais n’arrivent pas à les valoriser ici, parce qu’ils ont moins de valeur ou parce qu’on subit des discriminations. »
« Pour trouver du boulot on nous dit d’apprendre une, deux, voire trois langues. Comment tu fais si tu es seul, si tu ne connais personne ici, si t’as pas la possibilité ? »
« Il y en a qui rentrent dans la bulle européenne, plein, mais souvent c’est pour des stages non rémunérés ou des contrats précaires. »
« Avant on immigré avec des valises de carton, aujourd’hui les choses n’ont pas changé, si ce n’est le matériel des valises… Ce sont toujours des valises pleines de rêves accompagnées d’une certaine image de l’Europe, un espace commun plein de possibilité, qui s’avère très différent lorsqu’on prend la route réellement. »
Ces témoignages forts et ancrés ont été suivis d’échanges avec le public. Parmi celui-ci, Giuseppe, né en Belgique. Si ses origines italiennes, avec leur lot de joies et de poids, font partie de son identité, il cherche à transformer cette histoire en quelque chose d’utile au plus grand nombre : l’histoire de l’immigration c’est l’ histoire de tous. Mais surtout, aujourd’hui l’immigration italienne présente des caractéristiques qui n’avaient pas été prises en considérations antérieures, et qui peinent à l’être aujourd’hui : travailler dans une école pleine de jeunes primo-arrivants, il rencontre quotidiennement des jeunes italo-marocains, italo-roumains, arrivés en Belgique avec dans leurs valises les discriminations subies en Italie du fait de leurs origines, des identités d’autant plus fragmentées et complexes, bien souvent des retardataires scolaires,… Qui en Belgique est là pour ces jeunes, pour ces familles dont la langue et la culture sont avant tout italiennes ? Alors qu’ils sont extrêmement nombreux à Bruxelles, où sont représentés ces « nouveaux italiens » dans les associations liées à l’immigration italienne en Belgique ?
Ces questions en ont apporté bien d’autres : qui est là pour les nouveaux immigrés les plus précarisés ? Et quels seraient leurs besoins ? Comment transmettre l’histoire et la voix des italiens immigrés en Belgique à l’Italie ? En partant de la présomption d’une communauté italienne plus ou moins unifiée, désirant œuvrer pour une amélioration des conditions de vie de ses membres, existe à Bruxelles, comment pourrait-elle se structurer ? Quels pourraient être ses objectifs ? Quels usages de cette longue histoire peuvent être faits pour aborder les innombrables défis du présent ?
La soirée s’est poursuivie autour de discussions enthousiastes et informelles. Une chose nous donne du baume au cœur : nous avons l’habitude lorsque nous organisons des événements à Anderlecht de les voir peuplés de beaucoup de têtes connues et grisonnantes, cette fois ci nous avons dû ajouter de nombreuses chaises tant la salle était plein de visages curieux et jeunes, exigeants par la thématique de la soirée.
« Visto da un satellite, il pianeta Terra sembra una crisalide azzurra , attirata e spaventata dagli spazi siderali. L’Europa è soltanto una parte – e di gran lunga non la più grande – di questo bozzolo dove si comincia lentamente a percepire il bisogno di una nuova coesione per superare l’orrore del vuoto e per assumere la dimensione esodica che sembra ormai far parte del nostro prevedibile destino.
La destination e il senso di questa nuova odissea si prefigurano nella tappe successif di un viaggio plus umile e plus discreto che, in mancanza di meglio, continuiamo a chiamare migrazione. Una ricerca di pane, di lavoro, di fraternità, di solidarietà ; un’offerta di giovinezza e di coraggio sulle strade e agli incroci di Paesi che, alla vigilia del terzo millennio, restano rinchiusi dentro frontiere tagliate coi coltelli come all’epoca in cui, in uno spazio grande quanto Bruxelles, vivevano due o tre tribù dilaniate da continue lotte fratricide.
Agli occhi dei migranti, l’Europa delle tribù apparaît étrange, incompréhensible… »
« Vu d’un satellite, la planète Terre ressemble à une chrysalide bleue, procurée et effrayée par les espaces sidéraux. L’Europe n’en est qu’une part – et elle est loin d’en être la plus grande – de ce grand cocon d’où on commence lentement à percevoir le besoin d’une nouvelle cohésion pour dépasser l’horreur du vide et pour assumer l’exode qui semble désormais faire partie de notre destin prévisible.
La destination et le sens de cette nouvelle odyssée sont préfigurés dans les étapes successives d’un voyage plus humble et plus discret que, faute de mieux, nous continuons à appeler migration. La recherche de douleur, de travail, de fraternité, de solidarité ; les promesses de jeunesse et de courage sur les routes et les croisements des pays qui, à la veille du troisième millénaire, restent enfermés dans des frontières taillées au couteau comme à l’époque où, dans un espace grand comme Bruxelles, vivaient deux ou trois tribus déchirées par des luttes fratricides continue. »INTERVENTION DE BRUNO DUCOLI DANS LE MONDE 13/05/1984