Micro-enquête réalisée pendant le confinement

Micro-enquête réalisée pendant le confinement

De la nécessité de faire groupe

Alors que nous étions en plein confinement, début avril 2020, nous avons senti le besoin de recueillir les témoignages et récits de cette période si particulière auprès des personnes fréquentant le Casi, que ce soient des participants aux activités, des proches de l’associations ou ses travailleurs. En effet, alors que nous adoptions notre action aux mesures de sécurité, nous avons maintenu un contact fréquent avec les différents groupes. En fonction des possibilités technologiques à disposition du Casi et des personnes participant à ses activités, nous avons pu, selon, continuer des activités de groupe en ligne, ou maintenir un contact individuel au téléphone, avec les membres du groupe des Aînés notamment. Ce lien constant nous a rapidement permis de nous rendre compte que les mesures mises en place pour contrer la propagation de la pandémie, le confinement et ses diverses implications, avaient un impact profond sur les personnes. Celles-ci nous parlaient de changements au niveau de leur situation de santé psychologique et physique, mais aussi de leur situation économique et sociale. Collectivement nous étions en train de vivre un moment historique et le Casi en tant qu’association de terrain engagée dans la lutte contre les inégalités devait agir, récolter des informations et commencer, déjà, à penser à l’après. Loin des journaux télévisés et autres discours médiatiques, il nous fallait connaître les conditions réelles des personnes, de nos publics, qui, dans leur grande diversité, étaient tous touchés directement par la crise et étaient déjà en train de chercher des solutions, de s’adapter, de faire preuve de résilience ou d’être emportés par la panique ou la colère. Nous avons envoyé un questionnaire court à différentes composantes de notre association : les participants aux tables de conversation en français, des personnes ayant profité des services de nos permanences sociojuridiques, le groupe des Aînés, le groupe de parents de jeunes fréquentant l’école de devoirs qui se retrouvent fréquemment pour une activité liée à l’alimentation, les porteuses du projet théâtral du Casi, des amis de l’association et enfin, l’équipe des travailleurs. Les âges et conditions de vie de notre échantillon sont dès lors très variés, reflétant le public auquel le Casi s’adresse. Une fois que nous avons reçus les questionnaires complétés, une bonne quarantaine au total, nous les avons lus attentivement et décidé, en plus de nous en inspirer pour orienter notre action, d’en extraire un texte pour porter un témoignage collectif de ce moment, pour ne pas oublier, et déjà, poser sur papier nos projets pour demain. Avant de s’attarder sur les différentes réponses fournies par les participants à cette petite enquête, nous pouvons déjà annoncer la couleur : les sentiments les plus présents dans les témoignages recueillis sont la peur et la colère. Parfois, elles sont accompagnées d’espoir et de contentement d’avoir, un moment, ralenti et eu du temps pour soi. L’ambivalence de ces émotions est manifeste et se présente chez presque toutes les personnes ayant rempli le questionnaire. En fonction des situations de vie, de l’âge des personnes, de leur réalité professionnelle et économique, de la présence ou l’absence d’un réseau social solide, les récits varient bien entendu fortement étant donné la manière dont les mesures de confinement ont impacté la population, en accentuant les inégalités. Chaque groupe ayant participé à ce questionnaire, groupe souvent lié à une activité du Casi, correspond à un profil particulier et au sein de ces groupes, les vécus individuels peuvent différer fortement. Nous ne pourrions pas dire par exemple « tous les participants aux tables de conversation pensent que… » car chacun, chacune, en fonction de sa situation particulière, a vécu cette période de manière différente. Certaines tendances émergent cependant : il est clair que le fait d’être une personne âgée, par exemple, a pu caractériser le vécu du confinement pour tous les membres du groupe des Aînés, même si, en fonction de l’état de santé, de la solitude ou de la sociabilité, du rapport aux médias et du caractère des personnes, la situation a été vécue très différemment. Ce qui nous intéresse ici c’est surtout le ressenti des personnes, leur façon de de positionner face à ce moment d’incertitude global, plus que les conditions concrètes de leur confinement. Le Casi ne prétend pas pouvoir fournir une réponse globale à l’immensité du désarroi de l’aujourd’hui. Dans la continuité de sa tradition d’enquête, l’association a commencé par s’intéresser aux personnes, en espérant pouvoir, par son action, encourager la mise en commun des cris, des rêves et des solutions. Nous présenterons ci-dessous les réponses aux questions dans l’ordre dans lequel celles-ci ont été posées aux participants à ce travail. Nous avons cherché à mettre en évidence les similitudes et les divergences présentes dans les récits afin de rendre compte de la multiplicité des situations vécues, mais aussi, déjà, de commencer à tisser les fils d’un récit commun, histoire de femmes et d’hommes d’en bas, confrontés collectivement au même ouragan d’incertitude et de peur ayant touché la planète entière en ce printemps 2020. Les témoignages récoltés en italien ont été librement traduits en français. Les personnes ont été anonymisées par soucis de respect de la vie privée. Les citations sont référées en note de bas de pages, avec les trois premières lettres du prénom des personnes de qui nous transmettons le récit, et, en majuscule, une abréviation du groupe de référence dans lequel ces personnes sont principalement impliqués au Casi, ce qui permet de savoir s’il s’agit d’une personne âgée habitant Anderlecht (ANZ pour Anziani), un ressortissant de la nouvelle migration italienne fréquentant les tables de conversation (TDC pour Tables de conversation) ou les permanences sociojuridiques du Casi (SPO pour sportello), une des jeunes impliquées dans le projet théâtral du Casi (TEA pour Teatro), un adulte parent participant aux rencontres en lien avec l’alimentation (PDR pour Plat de résistance), un membre de l’équipe du Casi (EQU pour équipe) ou un compagnon de route de l’association (CDR pour compagnon de route).

Première question : comment te sens tu depuis le début du confinement ?

J’ai l’impression de vivre dans une prison à ciel ouvert où toutes mes libertés me sont interdites.[1]

Je suis très stressée face à ce virus mortel et à l’inconnu du monde scientifique face à ce virus.[2]

À cette question à priori assez simple, les personnes ont répondu de manière très variée, mais globalement, les réponses témoignent de réalités plutôt pénibles. Peu de personnes répondent avec positivité, et si elles le font, c’est pour vite nuancer : « ça va bien mais… » ou « au début ça allait et puis c’est devenu insupportable ».

Dans la phase initiale, caractérisée par un certain optimisme et beaucoup de curiosité, a succédé lentement une plus grande appréhension, un sentiment vide de solitude et une lourde prise de conscience des nouvelles difficultés pratiques pour mes projets de vie et pour les temps à venir.[3]

La colère et la peur sont très présentes. La peur, le sentiment d’impuissance et d’égarement, sont liés tant à la question sanitaire (peur de tomber malade, que l’on laisse mourir un nombre énorme de personnes, que l’épidémie n’arrive pas à être maîtrisée), économique (perte d’emploi, période sans emploi prolongée, non-paiement des indemnités de chômage), que sociale et relationnelle (difficulté de voir des proches, solitude). Pour les jeunes italiens arrivés depuis peu en Belgique, les réponses sont particulièrement chargées. L’angoisse qui transparait dans différentes témoignages apparaît comme étant très clairement liée à une instabilité professionnelle, au manque de réseaux de sociabilité solides à Bruxelles, et à l’inquiétude pour leurs proches en Italie.

Au début je me sentais presque coupable de ne pas être dans mon pays, proche de ma famille et mes amis, surtout ceux qui vivent à Piacenza et Milan, ma dernière résidence en Italie où la situation est dramatique, et je sentais que je ne réussissais pas à leur être proche.[4]

Le sentiment d’insécurité est aussi présent : face à la gestion de la crise sanitaire, certains auraient préféré être en Italie pendant cette période si chargée, a fortiori les personnes n’ayant que peu d’informations quant à leur accès aux soins de santé en Belgique.

Je ne me sens pas en sécurité. J’aurais préféré être en Italie [5]

Depuis que tout cela est arrivé, toutes mes espérances et mes projets sont tombés à l’eau. Je n’ai plus aucune certitude, surtout en termes professionnels et sanitaires. Ça a été une période d’inconfort et de dépression, j’espère ne plus jamais vivre une période tellement déroutante. [6]

Je me sens un peu perdue, j’ai traversé différentes phases. Les sentiments constants que j’ai ressentis sont la peur pour mes proches et l’impuissance. J’ai eu de grandes difficultés émotives que j’ai essayé d’affronter en me donnant une routine, mais souvent ça a été difficile voit impossible de rester active. [7]

Dans un autre registre, les personnes âgées ou à la santé fragile témoignent de leur sentiment d’insécurité, comme A., dame fréquentant les activités pour un public de seniors :

Je ne suis pas tranquille. La peur est là. Je me sens perdue, pas en sécurité (quand je vais faire les courses par exemple). Je ne me sens pas comme avant, c’est différent. « Spaesata »[8]

Les questions suivantes permettent de mieux comprendre concrètement, ce qu’il se cache derrière l’inconfort qui transparaît lorsque l’on pose la simple question « comment allez-vous ».

Deuxième question : Qu’est ce qui te manque le plus depuis le début du confinement ?

Cette question montre que, sans surprise, ce qui a le plus manqué aux personnes en cette période sont la liberté de se mouvoir et la possibilité de voir ses proches, a fortiori pour les personnes âgées sur-confinées et les migrants n’ayant aucune idée de quand ils pourront serrer les leurs, la légèreté dans les rapports humains. Inutile ici de commenter, les témoignages parlent d’eux-mêmes et reflétant des réalités très intimes.

Je suis seule ici en Belgique, ma famille (mari, fils, proches, amis, etc.) est en Italie. Bien entendu c’est eux qui me manquent le plus. Je ne les vois plus depuis si longtemps ![9]

Je me sens plus mou, privé de la vitalité qui me caractérise et j’ai aussi moins d’énergie, tant physique que mentale. Ce qui me manque c’est le plaisir que de l’imprévisible et de l’inconnu qui vient en sortant de chez soi, en rencontrant de nouvelles personnes et créant de nouvelles relations. [10]

Ça me manque de danser la salsa, de pouvoir voir la mer.[11]

Ce qui me manque c’est la spontanéité des petites choses. Maintenant il faut faire attention à tout.[12]

Ce qui me manque ? Des grands espaces dans lesquels vivre. Je vis dans une petite chambre qui devait être juste un point d’appui pour mon arrivée à Bruxelles, mais qui est en train de devenir une prison. Les accolades me manquent énormément, je n’ai pas de partenaire, et normalement je prends dans mes bras les personnes que j’aime. Je suis ici depuis peu de temps et j’ai peu d’amis proches. Mon neveu et mes frères me manquent énormément, pas tellement parce que je suis à Bruxelles, mais parce que je ne peux pas prendre un avion avec toute la facilité d’avant pour aller les retrouver et embrasser toute ma famille. Les choses stupides avec les amis me manquent, de même que d’avoir la tête légère et sans préoccupations de quand on pouvait sortir sans l’angoisse de devoir maintenir les distances de sécurité. [13]

La famille me manque, surtout mon neveu que je ne vois pas depuis mars. La possibilité de sortir librement. Mes amis m’ont manqué, mais aussi venir au Casi pour faire des choses ensemble. Ça a été une prison assez étroite, ça a été une longue période. [14]

Ce qui m’a le plus manqué, bien sûr c’est de ne plus pouvoir partager des moments avec mon fils, j’ai une maladie auto immune et donc super confinée.[15]

 

Troisième question : Qu’as-tu gagné pendant le confinement et que tu aimerais conserver par la suite ? As-tu appris quelque chose de nouveau ?

Je me rends compte que notre santé dépend de celle de tous.[16]

Malgré les réponses assez sombres à la première question sur l’état général des personnes, nous constatons que beaucoup de belles choses ont aussi émergé pendant le confinement. Le changement assez radical de rythme et de sociabilité, par l’arrêt/ralentissement du travail, la limitation des déplacements, a permis à un grand nombre de se retrouver. Le temps soudain à disposition pour faire différentes choses, mais aussi ne rien faire de manière décomplexée, est certainement le gain le plus précieux du confinement pour de nombreuses personnes, comme pour ces habitants d’Anderlecht habitués à la course effrénée du quotidien

Même si c’était une mauvaise période, pendant le confinement on a apprécié le calme et la tranquillité. Le silence des rues nous a fait du bien. Le garder après ça va être compliqué. On a appris que dans des situations de crise l’être humain a une forte capacité à s’adapter et à trouver des solutions aux « manques ». Ce qui en temps normal est essentiel devient superflu et si on enlève du décore on trouve ce qui est vraiment nécessaire.[17]

[J’ai gagné] de pouvoir prendre le temps de faire les choses plus calmement et de ne pas courir tout le temps après le temps.[18]

Tous cependant n’ont pas le même vécu par rapport au temps : pour M.T., maman d’un petit enfant ayant été mise au télétravail, les déclarations ci-dessus pourront sembler bien étranges au vu de son témoignage :

Les moments personnels, entre soi m’ont manqué énormément : je m’en crée et j’en ai mais ils ne sont pas suffisants, surtout quand on a un bébé à la maison. Le temps ne m’a jamais manqué autant comme durant le confinement !  [19]   

Si pour les personnes ayant de jeunes enfants et continuant à travailler, cela n’a pas été simple la plupart du temps de respirer pendant ces longs mois, pour d’autres, le contact retrouvé avec les proches, que ce soit, du fait d’avoir passé plusieurs mois en confinement avec son/sa partenaire, sa famille, ou du fait d’avoir eu plus de temps pour reprendre le contact à distance avec des amis et la famille lointaine, a été très apprécié.

Je me sens plus calme, j’ai eu plus de temps avec mon mari et c’est très précieux car nous en avions besoin.[20]

Les personnes se sont rapprochées, j’ai fortifié mes relations. [21]

La redécouverte d’une relation solide avec mon mari…on s’est beaucoup écouté. Nous avons instauré une autre atmosphère à la maison… Les gens se sont rapprochés.[22]

Une chose positive : être proche de Melina, mon épouse. (…) Je n’ai pas eu de problèmes particuliers, nous sommes sortis, nos enfants de sont occupés de nous, ils nous ont fait les courses. [23]

Relativement au ralentissement de la machine économique, de nombreuses personnes déclarent s’être rendues compte combien leur vie est axée sur la consommation effrénée de produits non nécessaires, combien en temps normal elles dépensent beaucoup d’argent en futilité. Bien souvent dans les témoignages, la diminution de la consommation est mise en parallèle avec un retour à l’essentiel, une redécouverte des choses simples, l’importance des relations humaines.

Ce que j’ai gagné c’est le retour à l’essentiel, le fait de ne plus acheter de futilités et se rendre compte qu’on vit très bien sans ça. J’ai passé plus de temps aussi avec mon fils, nous avons partagé plus de moments et d’échanges tous les deux. J’aimerai garder ce lien plus qui a été créé et ne plus entrer dans cette société de surconsommation en me contentant de ce que j’ai. Ce qui ressort de ce confinement, c’est de se rendre compte que même la plus petite chose bénigne que l’on faisait en temps normal nous est interdite donc il faut profiter de chaque instant de liberté et de vie qui nous est octroyé car cela est le bien le plus précieux qu’on ait.[24]

Plus d’un a mis cette période à profit pour se former, apprendre de nouvelles choses, réaliser des projets depuis longtemps mis de côté. Lecture, musique, cuisine, méditation, film…

J’ai plus lu, jouer de la musique, appelé des proches que je ne contactais plus depuis longtemps, j’ai appris la méditation, j’ai suivi beaucoup de webinars… [25]

J’ai élargi mes capacités culinaires, j’ai appris qu’avec ses propres mains on peut faire bien plus qu’on ne le pense. J’apprends à mieux m’écouter et à mieux écouter ceux qui me sont proches.[26]

Pour certains, le confinement a été l’occasion d’arrêter le temps et de se réapproprier une partie d’eux-mêmes, comme pour A. fréquentant les tables de conversation :

Sincèrement, je me sens très bien. La quarantaine a été pour moi un moment de recueillement, de pause du monde, mais surtout de pause par rapport à tout le stress lié à la recherche d’emploi. J’ai écrit une chanson, j’ai peint, j’ai écrit le début d’un roman que j’avais en tête mais que je n’avais jamais commencé, parce que je n’avais pas de temps. J’ai fait tout ce que je me suis toujours interdit par peur, parce que je n’étais pas rémunérée ou parce que je ne me sentais pas à la hauteur.[27]

La crise semble avoir permis à un grand nombre de personne de trouver le temps de réfléchir posément sur la course de notre société et de murir leur approche de certaines problématiques, comme M., qui travaillait avant la crise dans un restaurant :

J’ai appris à faire des tartes, ok, mais surtout, j’ai acquis une meilleure conscience de comment va le monde. (…) cette crise a mis en lumières énormément de problèmes de notre société. La santé publique, le travail, l’éducation. Les conditions sociales auxquelles nous sommes habitués limitent énormément les libertés et les droits que nous devrions tous avoir. Nous sommes cependant les premiers à ne pas s’en rendre compte, parce que la vie absorbe. [28]

Rares sont ceux qui se sont ennuyés au point de ne pas trouver de quoi s’occuper. L’ennui peut par ailleurs se montrer fécond et prendre en préciosité lorsque l’on se rend compte de la rareté des moments de pause dans la course habituelle.

En fait, j’ai trouvé chouette de s’ennuyer, ça pousse la créativité. En temps normal, on ne doit pas vraiment beaucoup réfléchir, il y a toujours quelque chose à faire. Quand on s’ennuie, c’est embêtant au début et après on doit être créatif pour ne pas rester bêtement devant la télé ou autre. [29]

Faire les choses soi-même à la maison (ex. pain etc.) – des souvenirs d’enfance ont refait surface (ma maman faisait le même quand j’étais petite) et je vais garder ces mémoires. Le plaisir de faire soi-même…[30]

J’ai lu beaucoup de livres pendant le confinement et j’aimerais continuer à lire à la suite parce que j’ai pris le goût. J’ai appris à prendre les choses mieux et à supporter des situations difficiles.[31]

Certains se sont également investis de manière active pour combattre la crise sanitaire, comme G., jeune italien habitant à Bruxelles depuis peu et F., anderlechtoise d’origine italienne qui ont fabriqué des masques en quantité avec leurs machines à coudre.[32]

Ne nous perdons pas dans une approche idéaliste de ces mois d’enfermement. « Mettre son confinement à profit » peut comporter des dérives, comme le souligne A., jeune fille portant un projet théâtral au Casi :

J’ai eu l’impression, durant ce confinement que la société nous mettait la pression sur le fait de devoir être “productif” et donc, nous faire culpabiliser si cela ne se faisait pas comme eux le veulent. Je n’ai jamais vu autant de tutoriels sur : “les recettes de cuisines = soyez un cordon bleu!”; “le sport = soyez une fitgirl ou un super musclé!”; “la psychologie = l’introspection,, la méditation, le bullet journal,…”; “les langues = soyez trilingue en 6 mois!” Etc. J’exagère sans doute, mais c’est la constatation que j’ai faite.[33]

Certains ont vécu très mal ce moment et ne s’identifient pas aux récits faisant du confinement une période de recueillement, presque romantique.

Je suis, bien malgré moi, en désaccord avec les nombreuses opinions recueillies ces derniers mois relativement aux aspects positifs de la quarantaine. Si au début, j’ai réagi avec une certaine sérénité et en aillant confiance dans la gestion de l’urgence, en mettant en place de nouvelles habitudes et en étant plus à l’écoute de moi-même, aujourd’hui, au début de la seconde phase de déconfinement, je ne peux nier que mon souvenir de ces deux mois à extrêmement amer. La dureté et la désillusion ont caractérisé le plus cette période. [34]

Quatrième question : As-tu rencontré des difficultés depuis le début du confinement ? Si oui, quelles solutions as-tu mis en place ?

Cette question est une de celles ayant suscité les réponses les plus fournies, ce qui est significatif en soi. Toutes et tous ont eu à faire face à des soucis, mais ceux-ci sont très différents en fonction de la situation vécue. Le travail, la santé, les relations sociales, sont au centre des problématiques rencontrées. De nombreuses personnes ont arrêté de travailler pendant le confinement. Certaines, ayant un contrat, ont été mises au chômage temporaire. Pour elles, la difficulté a été d’une part de comprendre comment percevoir leurs allocations de chômage en fin de mois, d’autre part de s’adapter à la réduction drastique de leurs revenus d’un jour à l’autre.

J’ai rencontré des difficultés à demander des aides économiques qui ne m’ont pas été données, j’ai finalement reçu un minimum de chômage équivalent à la moitié d la moitié du salaire minimum. Ça n’a pas été simple pour les dépenses de base comme le loyer, les courses, etc. [35]

Le fait de ne pas être au courant des différentes procédures à faire, de ne pas connaître le rôle des différentes institutions impliquées, de ne pas maîtriser les langues, a été très problématique pour plusieurs migrants italiens. Ceux-ci ne connaissaient en effet pas, par exemple, le rôle des différentes institutions impliquées dans le mécanisme de perception des allocations de chômage, d’autres ne savaient pas comment communiquer avec leur employeur pour avoir accès à certaines informations, ce qui a ralenti voire empêcher aux personnes d’accéder à leurs droits.

J’ai été mise au chômage temporaire, pour des raisons bureaucratiques je n’ai encore rien perçu, j’attends encore mon salaire de mars. Si je n’avais pas eu d’économies ou si j’avais été seule, je ne sais pas comment j’aurais fait. Heureusement, j’ai un peu d’argent de côté et surtout on partage le loyer à deux, ça a donc été plus facile. [36]

Pour les travailleurs de l’Horeca, la situation a été particulièrement pénible, comme pour M. qui, du jour au lendemain s’est retrouvée sans revenus[37], ou pour le compagnon de D., travaillant au noir qui « on l’espère, sera rappelé »[38]. Le chômage et les retards de paiements n’ont pas affecté que des migrants, des personnes insérées plus durablement localement ont également rencontré des problèmes économiques du fait de la perte soudaine de leur emploi. Parmi les personnes ayant cessé d’un jour à l’autre de travailler, nombreuses sont celles ne rentrant pas dans les conditions pour bénéficier d’allocations, que ce soit parce qu’elles travaillaient au noir ou parce qu’elles exerçaient en tant qu’indépendant dans le domaine artistique et culturel. Pour ces personnes, du jour au lendemain de nombreux projets sont tombés à l’eau, sans aucune compensation financière. Cette perte d’emploi soudaine a été l’occasion d’affirmer la nécessité de travailler en ayant un encadrement contractuel. D., vivant de prestation artistique, habitué à vivoter avec de maigres revenus et à limiter ses sorties au restaurant et au bar, s’il n’a pas vu ses habitudes en termes de dépenses changer énormément du fait des mesures de confinement, cette période lui a en tous les cas appris combien il est important d’obtenir des contrats de travail solides, les artistes free-lance n’ayant pas du tout été pris en compte par la crise :  

Moi de toute façon je suis habitué à travailler sans gagner de l’argent, toutes ces questions d’impôts, de revenus, de droits, tout ça est neuf pour moi, j’ai toujours tout fait en étant en dehors du système. Maintenant j’ai compris que c’est important de s’informer et de construire un peu de stabilité, sinon tu es foutu. Désormais je demanderais des accords sur papier avant de commencer à travailler, avec des dates et des chiffres. Si j’avais eu des contrats en règles l’État les aurait pris en considération. J’avais cinq projets en cours sans aucun accord écrit et il y a de bonnes chances pour que je ne reçoive aucune allocation de chômage temporaire. [39]

Les travailleurs du secteur artistique se sont retrouvés dans une situation particulièrement difficile, voyant tous leurs projets tomber à l’eau pour de longs mois comme pour E. et E., deux italiens travaillant à Bruxelles dans le domaine culturel, l’un dans le théâtre, l’autre la photographie :

J’ai éprouvé des difficultés économiques : j’ai pour ainsi dire arrêté de travailler d’un jour à l’autre. [40]

J’ai du mal à penser quel futur est réservé à mon secteur professionnel, le théâtre. À l’heure d’aujourd’hui, le théâtre tel qu’il a existé jusqu’alors n’existe plus. Quel futur aurais-je moi-même ?[41]

Si de nombreuses personnes se sont retrouvées sans emploi du fait des mesures de confinement, d’autres l’étaient déjà de longue date, et étaient déjà exténuées par la recherche infructueuse d’un travail à la veille du confinement. Pour les chercheurs d’emploi, la recherche d’un travail n’a pas été simple pendant cette période et, pour S., italienne arrivée depuis peu à Bruxelles avec son compagnon à la recherche d’un emploi,les chômeurs ont été des grands oubliés du confinement :  les autorités auraient dû aider aussi les personnes en recherche d’emploi qui ont vu leur période sans emploi et sans revenus prolongée. Pour elle, non seulement sa recherche d’emploi a été entravée, mais elle s’est également sentie plus que jamais étrangère dans ce pays car de nombreuses aides ayant été mises en place ne sont pas accessibles aux non-belges ou aux personnes en cours de régularisation.

L’aide à la recherche de travail de la part des structures compétentes (Actiris par exemple) et l’accès aux droits sociaux pour qui est à la recherche d’emploi ont été problématiques en cette période. Je me suis retrouvée dépaysée et à la marge de ce qui se passait. Par ailleurs, il en faut eu pour manquer d’espoir et de positivité, qui sont des sentiments indispensables pour qui est à la recherche d’un emploi. (…) Moi et mon compagnon, nous avons constaté une absence de soutien de la part des institutions et une majeure identification à « l’étranger ». Par exemple, nous n’avons pas pu obtenir les aides pour les locataires car nous ne percevions pas de revenus de chômage ; le renouvellement de notre permis de séjour de trois mois a aussi été problématique : nous avons dû le faire en ligne sans recevoir d’informations supplémentaires. [42]

Paradoxalement, le ralentissement global de la société a été l’occasion de moins de culpabiliser du fait de ne pas trouver d’emploi et donc de relâcher la pression pour A. :

Pour moi la quarantaine m’a donné une pause dans la recherche de travail, qui est certainement la première chose qui me fait me sentir inadaptée socialement. [43]

Si beaucoup ont vu leur activité cesser du fait des mesures de confinement, comme des travailleurs du commerce, de l’Horeca et de la culture par exemple, d’autres ont continué à travailler. Pour les travailleurs des secteurs définis comme essentiels, aide-soignante en maison de repos, infirmière, travailleur dans la grande distribution, le confinement n’a pas été de tout repos : bien loin des témoignages du lockdown idyllique, leurs récits sont ceux de personnes de terrain ayant continué à travailler dans un climat bien souvent anxiogène.  

C. avait des craintes à reprendre le travail.[44]

Au début de ce confinement, j’avoue que l’appréhendais de devoir prendre les moyens de transport pour me rendre au boulot, au fur et à mesure cette peur s’est atténuée.[45]

La maman d’un jeune fréquentant l’école des devoirs du Casi qui a un système immunitaire faible et est donc plus à risque face au virus, travaille dans l’entretien d’une école. Elle s’est retrouvée dans une situation très stressante et risquée :

Je pensais que vu mon état de santé, j’aurais été écartée. Mais non. Du coup, j’ai pris tous les congés possibles pour rester à la maison. J’ai très peur, vu que je suis volante et que je passe d’une école à l’autre.[46]

R. nous relate la situation pénible vécue par le personnel de nettoyage travaillant dans son école qui se retrouve en surcharge de travail :

Chez nous au travail, nous avons un homme à tout faire pour une grande école. Il doit une fois par jour nettoyer les sanitaires, ce n’est pas assez pour le nombre de personnes présentent dans cette école.[47]

À noter que pour certains travailleurs essentiels, le fait de maîtriser les informations a pu, aussi, permettre de relativiser ce qui était en train de se passer. Ainsi, F. infirmière de profession, a vécu cette période de manière relativement détendue.

En général ça s’est bien passé. J’avais et j’ai complètement conscience de ce qui s’est passé et se passe aujourd’hui. Ça m’a permis de bien affronter la situation.[48]

Elle a décidé, en pleine crise sanitaire, de rentrer en Italie pour y prêter main forte aux soignants débordés. De telle manière elle a, par ailleurs, retrouvé un emploi. À côté des fonctions pour lesquelles la présence physique s’est avérée essentielle, on retrouve celles pour lesquelles le télétravail a été favorisé. Le vécu du télétravail n’a pas été le même pour tous : certains se sont montrés très satisfaits de cet instrument leur permettant de conjuguer au mieux leur vie privée et professionnelle, d’autres ont vécu difficilement ce nouveau cadre professionnel.

Une autre difficulté a été de me discipliner par rapport au travail. Etant en télétravail 5j/5, j’ai très vite décidé de m’imposer un rythme de travail similaire à avant (heures fixes, pause à midi) de sorte à ne pas me laisser submerger et me permettre de faire d’autres choses à côté. J’ai donc appris que le pyjama c’est confortable…. Mais on est plus productif quand on se lève et on s’habille le matin ![49]

Nous l’avons évoqué, pour les personnes ayant de jeunes enfants à la maison, le télétravail a souvent été particulièrement compliqué à gérer, que ce soit pour des simples questions d’ordre matériel (disposition ou non de matériel informatique, d’espace pour travailler) ou du fait d’une surcharge globale, de l’impossibilité de faire des pauses.

Je suis fatiguée par le rythme que le confinement m’a imposé depuis son début (télétravail – famille – charge domestique : le tout simultanément et dans le même espace).(…) La difficulté majeure a été celle de conjuguer à la fois la vie familiale avec la vie professionnelle, en termes de temps et d’espace. Ne disposant pas d’un bureau ou d’une chambre supplémentaire, je travaillais et travaille dans le même espace (le salon) qui est employé par ma femme et par mon enfant pour jouer. En bref, afin d’assurer mes tâches professionnelles, j’ai dû souvent étaler les heures de travail sur la semaine en englobant le weekend (ce qui m’empêchait de me détacher complétement du travail et de disposer de temps libre pour moi) et en profitant surtout des siestes de mon enfant pour travailler dans le calme. Par manque de temps, je n’ai pas pu vraiment pratiquer de sport même si j’aurais bien voulu.  [50]

Cela n’a pas été simple non-plus d’adapter son travail pour les travailleurs ayant l’habitude de travailler en présence, comme R.qui est enseignante et qui a dû adapter sa manière de travailler sans avoir à sa disposition tous les outils techniques.

Pour le travail, j’ai dû me mettre à utiliser davantage l’ordinateur et c’est est un point positif pour moi car c’est un outil indispensable de nos jours. Les applications vidéo, nous ont permis de garder un contact visuel avec les amis et la famille.[51]

Le télétravail a pu être très pénible à supporter lorsque les employeurs n’ont pas adapté la charge demandée aux travailleurs aux conditions difficiles du moment, comme pour A., travailleuse sociale, pour qui la charge mentale et de travail a décuplé avec le confinement. Elle en est arrivée à quitter son emploi.

Je suis actuellement sans emploi, chez mes parents. Je ne le regrette pas. Pour mon boulot, c’était devenu ingérable pour moi. Non pas le fait d’écouter, épauler, solutionnerl la misère des familles bruxelloises car sinon je n’aurai pas étudier pour devenir éducatrice spécialisée. Mais ça devenait ingérable par rapport à la charge de travail et cela me dépassait. Et puis il y avait des failles d’un point de vue structurel. Il n’y a pas eu d’accompagnement pour les nouveaux employers et cela est bien dommage. La hiérachie est fortement présente mais elle ne l’est pas quand il faut trouver des solutions pour soulager les assistants sociaux face à la masse de travail. (…) Pleurer car on se sent dépassé est devenu une norme dans le milieu.[52]

La fracture numérique a pu être un frein tant au télétravail qu’à l’école à distance, comme pour A. et C., parents d’une adolescente, qui se sont retrouvés à partager le quelques écrans de la maison avec leurs enfants[53].

Nous constatons que pour les personnes étant déjà habituées à travailler presque exclusivement avec un ordinateur, du fait de la nature de leur métier, le confinement n’a pas changé grand-chose dans leurs manières de travailler. À la difficulté de travailler seul, l’avantage de pouvoir gérer son temps et sa productivité a été pour ces personnes une compensation non négligeable. Nous remarquons dans les témoignages que les personnes travaillant d’ordinaires de longues heures devant leur ordinateur ont vécu un confinement relativement serein et ont pris le temps pour elles de décompresser, faire du sport, choses qu’en temps normal elles n’ont pas le temps de faire.

Nous avons tous été mis au télétravail. Je l’avais fait auparavant mais seulement de manière exceptionnelle. Je dois dire que c’est une bonne manière de travailler et je voudrais que ça perdure, au moins partiellement, après la crise. J’ai approfondi mes connaissances en cuisine et je suis allées courir presque chaque jour, ce qui m’a aidée d’un point de vue physique et mental.[54]

Je suis dans une situation privilégiée par rapport à bien d’autres personnes parce que la quarantaine ne m’a pas impacté au niveau du travail, de mon logement ou personnel, j’ai eu la chance qu’aucun de mes proches de soit tombé malade. J’ai été très frustré du fait de me sentir impuissant et peu utile dans ce moment d’urgence par rapport à ceux qui ont pu ou du travailler dans des services essentiels à la société (sanitaire mais aussi commerce et logistique).[55]

Parmi les problèmes rencontrés, la santé a sans aucun doute une place importante. À notre connaissance, personne n’a été infecté par le Covid19 parmi les personnes fréquentant notre association, ce qui n’a cependant pas empêché toute une série d’autres problèmes de santé de se manifester, tant physiques que mentaux. Relativement à la santé physique, le fait de peu se déplacer a occasionné des douleurs à plusieurs personnes, surtout les plus âgées ayant des problèmes articulaires, mais aussi à des personnes plus jeunes amenées à passer beaucoup de temps immobiles devant des ordinateurs, en télétravail notamment. Le fait de ne pas pouvoir consulter les médecins qui habituellement soulagent leurs douleurs a handicapé plus d’une personne.

Ne sortant pas, il « chiodo fa la ruggine » (santé) – des douleurs se sont présentées ne bougeant pas comme avant. J’essaye de le faire maintenant, petit à petit. [56]

Certains ont compensé en se donnant une discipline sportive, à la maison ou à l’extérieur, ce qui a pu tant aider le corps que l’esprit à supporter le stress et l’inconfort global du moment. Il semble, sur base des témoignages recueillis, que la prise de poids a affecté une part importante des interrogés pendant le confinement, du fait du manque d’activité et d’une alimentation déstructurée, tant des jeunes que des personnes plus âgées. Les plus grands soucis physiques ont touché des personnes ayant déjà des pathologies avant le confinement et s’étant retrouvées soudainement dans l’impossibilité de les soigner, comme S.[57], qui a vu son opération à la hanche être annulée, prolongeant jusqu’à une date inconnue son calvaire et ses difficultés de déplacement, ou encore comme G, dame d’un certain âge qui a été contrainte d’attendre dans les urgences bondées d’un hôpital au milieu des autres malades, sans protection particulière face au Covid.

Au niveau médical, j’ai dû faire des examens et les procédures hospitalières n’étaient pas toujours aisées (surtout avec une personne aînée comme moi – ex. file d’attente sans bancs pour s’asseoir, grande période d’attente pour avoir un rendez-vous). Mon opération a été reportée et j’ai des douleurs. [58]

Des personnes à l’état de santé particulièrement fragile, comme G. ayant une maladie auto-immune, se sont « super-confinées » pour éviter tout risque de contamination. [59]

En termes psychologiques, les personnes nous ont fait part d’une période particulièrement anxiogène, pendant laquelle la panique a souvent pris le dessus sur tout autre sentiment, quelque soit leur âge. Les réponses à la première question reflètent cet état de désarroi. Nous l’avons vu, plus d’un a été ont été terrorisés à l’idée de devoir aller travailler ou sortir de chez eux, en s’exposant à des risques de contamination. La ruée dans les supermarchés à l’annonce du confinement rappelle à D.la situation de panique généralisée pendant la guerre de Corée pendant les années 60’[60].

En étant une famille nombreuse et tous sous le même toit, au début nous avons paniqué au niveau du manque des denrées. Dans notre entourage familiale tout le monde avait fait des grosses réserves alimentaires et ils nous conseillaient de faire autant. Quand on s’est aperçu que les gens avaient dévalisé les rayons des supermarchés on a eu peur[61].

Faire les courses est devenu un événement social et en même temps un moment plein d’angoisses et très stressant. Certains produits communs sont devenus des denrées rares. Même problème avec les masques, nécessaires mais introuvables. [62]

Pour moi l’alimentation a été très problématique : faire les courses me mettait dans un état de panique. Je suis hypocondriaque, et donc j’ai passé le début de la quarantaine emmurée chez moi. Je faisais des réserves pour deux semaines, j’allais avec une valise faire les courses.[63]

Nous l’avons vu, pour les personnes vivant seules ou du moins, loin de leurs proches, la solitude a pu être très difficile à supporter pendant le confinement, notamment pour les jeunes italiens arrivés depuis peu en Belgique et ayant encore peu de relations solides locales, mais aussi pour des personnes plus âgées et vivant seules, soudainement coupée de leurs contacts avec le monde. Paradoxalement, le fait que l’isolement ait touché un grand nombre de personnes et qu’être seul était pour ainsi dire recommandé en termes sanitaires, certains solitaires d’avant la crise se sont sentis soulagés de ne plus se sentir responsables, coupables, de cette solitude, d’être en quelque sorte accompagnés dans leur solitude qui en temps normal est considérée comme une anomalie sociale.

Je ressens à la fois du stress et en même temps un apaisement. C’est très particulier. Stress parce qu’on nous bombarde d’informations terrifiantes et apaisement parce qu’être obligé de rester chez soi permet de trouver le temps pour faire ce qu’on ne fait pas d’habitude et le faire sans culpabilité car tout le pays était à l’arrêt. [64]

Cette solitude n’était cependant pas choisie, elle a pu avoir une saveur d’isolement forcé, et, en cœur avec toutes les personnes se sentant privées de liberté, certains remettent en question les discours se limitant à idéaliser le « temps pour soi ».

J’aime être seule et avoir mes moments “à moi”. Dans un certain sens, je suis contente d’avoir “tout ce temps” ! Mais cette crise nous est tombée dessus et…on ne l’a pas choisie. Je n’ai donc pas choisi de vouloir m’isoler car cela s’est imposé à moi. Du coup, quand on me dit que j’ai dorénavant le temps, certes cela est vrai mais je ne le vis pas toujours bien. Au départ, on n’en voit pas le manque. Et puis les jours passent et les “apéros Skype” ne suffisent plus. Pire, ils sont devenus grotesques…J’avais l’impression d’être dans un film de fiction ![65]

L’isolement et la limitation des contacts a pu poser toute une série de problèmes très concrets aux personnes interrogées : fuite d’eau, pénurie de pain, machine à laver en panne… Il semble que personne ne se soit laissé abattre, et des solutions simples et basées sur l’entraide ont été trouvée dans la plupart des cas : qui a appris à cuisiner, qui a appris à réparer un évier bouché, qui, enfin, a découvert avoir des voisins aimables et disposés à faire leurs courses.

J’ai de la chance : pour éviter les foules, mon voisin d’en bas fait mes courses. Et si le fait d’être âgée d’une part pèse plus dans le risque du virus, c’est aussi moins stressant question de rentrées puisque rien ne bouge dans le montant de ma pension. [66]

Par ailleurs, face au stress global ayant touché les uns et les autres, on observe que, bien que ça n’a pas été simple pour tous, des échappatoires ont souvent pu être mis en place. Le sport a certainement été un exutoire important aux angoisses et au malaise physique, tandis que beaucoup ont misé sur les rapports à distance avec leur famille et amis pour combler le sentiment de solitude.

Vu que le monde extérieur est, au moins en théorie, inaccessible, on se tourne inévitablement vers l’espace intérieur. Appeler des amis et la famille, aller courir, travailler, autant de choses qui m’ont beaucoup aidé. L’avantage, ou le problème, est que l’on peut vite s’habituer à faire cette vie, si malheureuse qu’elle soit, on s’habitue.[67]

Nous avons constaté que bien souvent, avant même de parler des problèmes qu’elles ont rencontrés personnellement et directement, les personnes pensent à celles et ceux se retrouvant dans une situation plus difficile que la leur. La conscience que les mesures de confinement impactent de manière inégale est présente dans tous les témoignages. D. pense aux femmes victimes de violences pour qui il faudrait davantage de structures d’accueil[68], F. s’en fait pour les habitants des quartiers populaires plus exposés aux violences et abus de pouvoir policiers, il pense notamment à la tragique histoire du jeune Adil.

Ce jour-là, de la fenêtre de la maison on voyait les hélicoptères entre Anderlecht et Molenbeek, on entendait les sirènes de la police au loin et j’ai vu plein de camionnettes passer. Frissons. De la même fenêtre, dans la tranquillité un peu bourgeoise et hipster de Saint-Gilles, on voyait des garçons et des filles se diriger sereinement et tranquillement vers le parc de Forest pour lire un libre, boire une bière ou simplement se promener, chose que, heureusement, je fais moi aussi. C’est une image qui fait comprendre combien la quarantaine est inégalitaire.[69]

D’autres s’en font pour les enfants et les jeunes et les multiples conséquences de la déscolarisation et de l’école à distance[70]. R. quant à elle se préoccupe de la situation sanitaire des sans-abris, notamment en termes d’hygiène[71]. Les plus âgés s’en font pour la jeunesse, conscients de la crise économique et sociale à venir : quel monde pour demain ?

Je ne vois pas le futur rose, je suis triste, je pense aux jeunes, à leur futur…aux personnes qui ont perdu leur travail…qu’est-ce que ça va être pour eux ? La situation n’était pas bonne, déjà avant…maintenant ça va être pire…[72]

Cinquième question : Selon toi, qu’est-ce qui aurait dû être mieux géré par les pouvoirs publics pendant ce confinement ?

Je n’arrive pas à expliquer la mauvaise gestion de la pandémie de la part de l’OMS depuis le début. Les plans d’urgence devraient être testés à l’avance ! En ce qui concerne l’Italie et la Belgique, la situation était déjà très précaire avant…[73]

Lorsque l’on a demandé aux participants à cette micro-enquête de donner leur avis sur la gestion de la crise, ils nous ont répondus dans la presque totalité qu’ils ont eu l’impression qu’on se moquait d’eux. Manque de prévoyance, de transparence, mauvaise communication, oubli de franges entières de la population (étrangers, chômeurs, familles monoparentales, …), abandon des pensionnaires des maisons de repos. Le mécontentement est très clair. 

Certaines décisions ont été prises trop tard malgré le fait que d’autres pays étaient déjà en confinement et en situation de crise sanitaire ; pas de collaboration entre pays européens ; aucune prévention ; confusion totale et messages contradictoires dans la communication.[74]

Tout aurait dû être mieux géré, surtout qu’ils ont eu le temps de voir venir les choses en ayant vu la situation de crise en Italie. Le problème est que ce gouvernement préfère regarder l’aspect financier que le bien-être de la population. Malheureusement, étant dirigé par une équipe de guignols, on ne peut pas s’attendre à mieux, il suffit de voir le nombre de commandes de masques inabouties, c’est une véritable mascarade. (…) [il faudrait] une destitution complète de nos dirigeants.[75]

Je pense qu’il n’y a pas eu une prise en charge adaptée du problème, et ce, pas seulement parce que certaines catégories de la population ont été oubliées dans les différents plans de relance : ces oublis surviennent aussi en « temps normal », mais bien parce qu’il n‘y a pas eu de remise en question du système lui-même. [76]

Il n’y a pas que la gestion de la question sanitaire qui pose question aux personnes que nous avons interrogées. Les problématiques économiques et sociales ont émergé rapidement et les solutions qui ont été amenées ont, pour beaucoup, été inadaptées à la solution.

Il aurait surement fallu définir avec des critères plus strictes les activités économiques non essentielles et les arrêter ;  garantir un chômage temporaire plus intéressant (70% de chômage et 25% de précompte c’est absurde), faciliter l’accès au CPAS pour tous les citoyens qui se retrouvent en Belgique ; garantir des masques pour chaque ménage et imposer le porte de masque à  tous ceux qui se retrouvent dans l’espace public (comme il est obligatoire le porte du casque pour les motards) ; organiser publiquement la distribution de la nourriture aux ménages. [77]

La diminution des rentrées pour un grand nombre de personnes, du jour au lendemain, n’a malheureusement pas été compensée par des mesures bloquant voire diminuant les prix, comme la nourriture ou même les loyers, les factures, etc.. D., jeune italienne travaillant dans un magasin d’habillement, s’en offusque :

Il aurait certainement fallu mettre en place des aides concrètes et suspendre certains paiements. Face à la crise, les supermarchés n’ont fait qu’augmenter leurs prix au lieu de les abaisser, même pour les biens de première nécessité ! [78]

Plus d’un dénoncent le manque de considération pour les travailleurs et les services publics, au nom du profit.

Quand on voit que les hôpitaux en sont à faire appel aux dons, on est vraiment dans du libéralisme : s’il n’y a pas un souci du service public on en vient au caritatif.[79]

J’aimerai que les gens retiennent certaines choses. C’est bien beau d’applaudir à 20h mais si on continue à voter pour des représentant qui ne cessent de couper dans le budget santé, ça ne sert à rien![80]

La reprise du travail, faite dans la précipitation, est très critiquée, surtout pour les personnes les plus exposées à la surcharge de travail et aux risques sanitaires.

Tout a été mal géré, particulièrement à l’école, qui est mon secteur. Jusqu’à vendredi, les travailleurs et les enfants devaient porter un masque et garder la distance sociale. Aujourd’hui, plus rien. C’est une vraie contradiction. Dans d’autres écoles ils font des grèves, mais pas à Anderlecht. Pour l’instant il n’y a pas beaucoup d’enfants, mais s’ils reviennent tous, s’il n’y a pas assez d’institutrices disponibles, qu’allons-nous faire ?[81]

Ça a été le grand n’importe quoi, ça partait dans tous les sens…c’est vraiment du foutage des gueules…avec cette histoire des masques, de l’App covid…une vraie contradiction…De plus, ils ont profité pour présenter des nouveaux arrêtés royaux qui sont passés inaperçus puisque tout le monde était occupé et concentré ailleurs.  Là ils ont décidé de rouvrir les écoles, ils disent dans l’intérêt des jeunes pour éviter les inégalités scolaires mais, en réalité, c’est juste pour relancer l’économie…c’est dégoutant ![82]

De même, le déploiement de la police, la violence qu’elle a pu exercer envers certains groupes sociaux révolte :  

Les autorités auraient dû répondre avec des aides plus importantes et plus structurelles dans les quartiers les plus ségrégués plutôt que d’imposer une répression policière insensée. [83]

L’histoire d’Adil me reste en travers de la gorge, ils ne devaient pas lui foncer dessus. Je pense que la police a exagéré dans certains quartiers. [84]

Les médias de sont pas en reste. F., professionnelle de la santé, n’est pas la seule à penser qu’ils ont participé à la création d’un climat anxiogène, inutilement, notamment en diffusant des informations incompréhensibles pour la plupart des gens.

Les médias ont diffusé des informations compliquées, qui ne sont pas à la portée de tous, parce que nous ne connaissons pas à fond les questions abordées, sans utiliser un langage simple, créant ainsi de la panique et de l’angoisse. [85]

Je pense, notamment dans le cas de la France, que les pouvoirs publics n’auraient pas dû diffuser un tel climat de peur à travers leurs discours médiatiques. Il m’aurait semblé préférable qu’ils soient plus transparents sur la situation en assumant leurs incertitudes, leurs doutes et leurs erreurs sans faire peser un sentiment de culpabilité chez les gens.[86]

Sixième question : À la fin de cette crise sanitaire, qu’aimerais-tu voir changer dans la société ? As-tu plutôt de l’espoir ou de l’inquiétude pour le futur ?

Il n’y a pas une seule chose que je voudrais changer : avant cette crise j’étais convaincu que ce système est à détruire, j’en suis encore plus persuadé. [87]

J’ai peu d’espoir, mais si tu perds tout ton espoir, c’est comme mourir. Et donc, oui, je fais semblant d’en avoir encore. Si tu perds même l’espoir c’est fini. [88]

Cette question n’est certainement pas simple à poser, et y répondre ne l’est pas plus. Espoir ou inquiétude ? Pour presque tous, c’est un peu des deux : si tous ont conscience de la crise à venir, certains ont l’espoir que l’on va vitre retrouver un équilibre, que la société va changer en mieux, d’autre pensent que l’on va forcément passer par une période de lutte parce que ce système doit craquer d’une part, parce que les inégalités vont exploser avec la crise d’autre part. Globalement on ressent beaucoup d’inquiétude, et ce, plus en termes économique que sanitaire. La crise à venir, pour des personnes ayant une conscience très claire et une expérience vécue très concrète des inégalités de notre société, ne fait aucun doute.

Ce que je crains le plus, c’est que nous allons payer le manque à gagner durant cette crise. Mon inquiétude pour les mois à venir sera vraiment financière.[89]

J’ai peur pour le futur, du moins si c’est vrai tout ce qu’on entend dans les médias. Peur de cet inconnu pour moi-même, mes enfants et petits-enfants, mes proches.[90]

J’ai appris qu’en fait, on n’a rien appris. Peut-être que tout sera pire. Les riches seront toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres. Les entrepreneurs gagneront plus et profiteront de cette situation.[91]

De nombreuses personnes s’accrochent à l’espoir que les initiatives et changements positifs ayant émergés pendant le confinement perdurent, voire que des difficultés collectives rencontrées en cette période émerge un mouvement large de contestation populaire pour une société plus juste est très présent. Laissons leur la parole :

Que les gens continuent à s’entraider comme on a pu le voir ces derniers mois… je veux avoir de l’espoir ![92]

L’espoir ne manque pas, il ne manquerait plus que ça ! Les préoccupations ne manquent cependant pas non plus. Tout dépendra de nous. La quarantaine a permis d’expérimenter certaines choses comme la réduction des émissions à effets de serre, le télétravail, la simplification bureaucratique, l’utilisation saine des outils informatiques, l’importance de notre santé et de nos proches : toutes des choses qui devraient perdurer dans le futur. [93]

Pendant ces mois très durs, il y a eu de nombreuses initiatives de soutien gratuites et de de volontariat. J’aimerais que ces services continuent après la quarantaine pour qui n’a pas de moyens. (…) J’aimerais que cette période horrible soit l’occasion de grands changements sociaux et économiques. Je voudrais voir une société plus égalitaire au niveau social, économique et de genre, plus de coopération, plus attentive aux besoins des autres. Une société où il y aurait des amortisseurs sociaux pour qui se trouve dans une situation de plus grande fragilité. Une société sans clientélisme et népotisme. Je pense cependant que mes paroles sont utopiques et naïves. (…) Je m’efforce de nourrir quelques espérances, mais la vérité c’est que je suis très très préoccupée[94].

J’aimerais qu’on continue à accorder plus d’attention à l’hygiène dans tous les domaines. (…) Pour le futur, je veux rester positive et j’espère que cette crise fera ouvrir les yeux au monde politique à tous les niveaux.[95]

C’est dans les moments de crise les plus forts que viennent les changements ![96]

J’espère qu’une conscience politique va prendre racine, se basant sur ce qui vient de se passer, sur la façon dont la pandémie a remis en question les piliers de notre vie sociale, en remettant en question les modèles socio-économiques qui ont transformé le monde ces dernières décennies, en nous rendant vulnérables et assujettis aux exigences du marché et de la production. [97]

J’aimerais que le peuple puisse manifester afin de faire bouger les choses! Nous avons le pouvoir mais beaucoup en doutent. J’espère donc que ce confinement en aura décidé plus d’un à descendre dans les rues et faire entendre notre voix! Applaudir ne suffit pas. [98]

La crise sanitaire a généré un état d’angoisse collectif qui a mené les individus et les gouvernements à remettre en question énormément de choses au nom de la santé publique. Ce que je voudrais c’est que cette angoisse collective ne disparaisse pas mais se déplace de la santé publique au changement climatique et à la santé de notre planète sans son ensemble. [99]

Au niveau politique, des propositions concrètes sont faites, comme ici, de la part d’un couple habitant à Anderlecht désirant un fonctionnement démocratique plus direct.

La politique doit être plus présente dans le territoire, à l’écoute du citoyen et auprès des gens les plus fragiles. Notre commune devrait permettre aux habitants de pouvoir exprimer leurs avis. Créer un système pour qu’au besoin l’on puisse trouver des infos plus claires.[100]

À une échelle plus large, P., dame âgée sicilo-anderlechtoise, voudrait une Europe plus sociale.

Une Europe plus présente pour tous. Même accès à la santé pour tous, riches et pauvres, plus de responsabilité de nos actions et plus d’entraide.[101]

D’autres ont des propositions plus radicales pour aller de l’avant :

Je voudrais que le capitalisme meure une bonne fois pour toutes, en prenant avec lui le moins de victimes possible parmi ceux d’entre nous qui y sommes imbriqués.[102]

Lors de cette période étrange, j’ai pensé que nous devrions abolir la pauvreté dans le monde, ça a l’air fou comme idée mais c’est comme ça. Il faudrait permettre à tous d’avoir un certain bien-être. Je suis prêt à lutter pour cela ça me semble un idéal juste. [103]

La crise a, comme beaucoup le soulignent, accentué des tensions et des urgences déjà présentes, notamment l’urgence climatique. N., proches du Casi et militante, voit « la nécessité de faire des actions dans deux directions au moins » :

L’écologie, ce mot qui fait entre autres référence aux liens entre les réalités du monde : les changements climatiques et la venue de nouveaux virus, les deux en lien avec nos modes de vie et l’ambiance dans laquelle nous baignons tous, comme victimes d’un système économique et politique ET comme acteurs pris dans ce système : surconsommation, course au profit, compétition. L’écologie donc mais sociale. Il y a eu une époque où les soucis écologiques ne m’apparaissaient que comme une préoccupation de bobos qui ne doivent pas trop serrer ceinture pour pouvoir vivre le quotidien… Mais je n’en suis plus là. Une de mes questions est : comment lier les luttes de classes aux urgences climatiques et sanitaires. J’en viens à la 2eme direction : la lutte pour la justice fiscale. Des impôts payés par les plus riches sont nécessaires entre autres pour consolider les services publics. [104]

La terre a pu respirer depuis que l’homme ne l’étouffe plus. Ça s’est vu à plein d’endroits. Il y avait moins de circulation, moins de pollution. [105]

Nous voyons que toutes et tous ont besoin de se positionner et de se projeter. Quels lendemains ? Nous avons posé la question de l’espoir. Certains diront que l’espoir fait vivre, d’autres que c’est un sentiment ne pouvant pas s’inscrire dans une dynamique réelle d’émancipation. L’espoir est une chose, l’action en est une autre. Comment dès lors se projeter non pas dans la peur ou l’espoir, mis dans l’action ?

Septième question : Y a-t-il des choses que le Casi pourrait mettre en place dès aujourd’hui et aussi dans les temps à venir pour t’accompagner dans cette phase particulière ?

Après avoir posé différentes questions quant à l’état et au ressenti des personnes en cette période particulière, nous leur avons demandé comment notre association, le Casi, pouvait les soutenir, qu’est ce qui pourrait y être mis en place pour faire face aux différentes problématiques rencontrées par les personnes. Il est à noter que pendant le confinement, le Casi a cherché à s’adapter rapidement à la situation, et, en fonction des groupes et des activités, des aménagements ont été proposés dans les activités et relations habituelles entretenues avec les différents groupes. Certaines activités ont été poursuivies à distance, en ligne. Ceci a été possible lorsque les participants aux activités étaient globalement équipés numériquement et qu’il leur était possible d’aménager un moment dans leur semaine pour se réunir virtuellement. Par exemple, les tables de conversation en français se sont déroulées sur Zoom pendant tout le confinement, moyennant quelques aménagements dans les techniques d’animation. Ceci a permis de garder le lien, de revenir sur l’actualité et les mesures en Belgique, souvent peu claires, a fortiori pour des personnes arrivées depuis peu en Belgique, et de garder une structure : avoir un rendez-vous hebdomadaire, symboliquement, s’est présenté comme une manière de garder un cadre temporel et de maintenir des relations régulières. La plupart de ces personnes ayant immigré récemment en Belgique, pendant le confinement elles avaient plus la tête dans les nouvelles provenant d’Italie, et étaient dès lors déconnectées de ce qui se passait localement. Se réunir, même virtuellement, pour partager une expérience commune, celle du confinement et de ses multiples conséquences, à Bruxelles, était une manière de se connecter à la réalité.  

Même si j’ai participé rarement aux rencontres en ligne, j’ai eu l’impression de faire partie d’un groupe, et ça m’a aidée. Cette activité (les tables de conversation) réunit des italiens et cherche à les faire entrer dans le tissu social du pays qui les héberge, et c’est très précieux et utile. [106]

Organiser une rencontre virtuelle par semaine pendant la quarantaine a été quelque chose d’incroyable, de même que le soutien que certains ont reçu du Casi pendant cette période. De même que les différentes infos qui ont été diffusée sur notre groupe Whats’app et sur les réseaux sociaux. Daje ![107]

Les rencontres de l’activité « Plat de résistance » ont été profondément remaniées, tant dans leur forme que dans leur fond pour répondre aux besoins du moment, et, alors que nous avions l’habitude de nous rencontrer autour des fourneaux, nous nous sommes réunis sur des plateformes de discussion vidéo en ligne. Nous nous sommes rapidement rendu compte que les participants à cette activité à cadence mensuelle, pendant le confinement, avaient l’envie de rencontres plus fréquentes, et aussi l’envie de modifier les thématiques abordées, le besoin du moment étant celui de pouvoir discuter de cette phase historique étrange que nous étions en train de passer, de partager les doutes, les incertitudes, de s’octroyer un moment de pause dans le quotidien de la maison. Les participants à cette activité sont des adultes ayant des enfants, la plupart sont des femmes, le confinement a été donc pour beaucoup marqué par une modification radicale des rythmes et des dynamiques domestiques. Certains ont arrêté de travailler pendant le confinement, d’autres ont continuer, en présence ou à distance. Il n’empêche qu’il a été assez facile de trouver une plage horaire pendant laquelle tous étaient disponible pour se rencontrer virtuellement.

Nos petites rencontre vidéo sont une excellente idée et ça me fait un bien fou! MERCI[108]

Nous faire savoir ou trouver les informations et /ou nous communiquer les décisions prises par le gouvernent (ex : vacances) ; continuer nos rendez-vous sur ZOOM pour rester ensemble, pour ne pas déprimer et la fin de cette crise organiser des évènements.[109]

Les permanences sociojuridiques du Casi n’ont pas eu trop de mal pour s’adapter à la situation car elles fonctionnaient déjà de manière occasionnelle sur la base de consultations en ligne ou téléphoniques. Pendant tout le confinement, le Casi a maintenu ce service de première ligne à destination de nouveaux immigrés italiens à Bruxelles, mais à distance. Ceci a permis de répondre à certaines questions urgentes ayant trait au chômage technique, aux mesures de confinement, à l’accès aux soins de santé, liées directement à des problématiques ayant émergées ou s’étant accentuées avec les mesures de confinement. Avec d’autres groupes, cela n’a pas été aussi simple de transformer les activités. Par exemple, les rencontres avec le groupe des aînés étaient difficilement transposables en ligne du fait de la fracture numérique générationnelle. Le groupe ne s’est dès lors par réuni pendant le confinement, ni en présence, ni en ligne, mais un contact étroit a été maintenu avec les participants aux activités, de manière individuelle, par le biais d’appel téléphoniques réguliers entre les animateurs du Casi et les anziani du Casi. De même, le manque d’équipement technologique a freiné la numérisation des rencontres avec nos public les plus jeunes, les enfants et jeunes fréquentant l’école des devoirs du Casi, et leurs parents. Ici aussi, d’autres aménagement ont été mis en place, comme des appels téléphoniques, des envois de lettres et d’autres formules. Pour le soutien scolaire, les animateurs du Casi ont notamment réalisé des dossiers individuels qu’ils ont déposé dans les boîtes aux lettres des jeunes et des visites à domicile, en respectant les mesures sanitaires, ont pu être faites pour certains jeunes. Le Casi a aussi cherché à adapter son offre en termes d’activités culturelles et informationnelles en publiant régulièrement des articles sur sa page facebook, et en enrichissant sa newsletter de différents contenus.

Le Casi a été présent pendant cette période en mettant des liens sur les différentes activités que l’on pouvait faire de la maison, j’ai ainsi découvert un film « bandite ».[110]

Organiser des rencontres virtuelles à la place des activités culturelles, partager des informations utiles, envoyer un mail avec les activités hebdomadaires.[111]

L’activité théâtre a été mise en pose pendant le confinement, mais des liens ont été gardé et des rencontres virtuelles ont été organisées, plus pour garder le contact que pour travailler sur le projet en soi, qui nécessite une présence physique évidente.

Je pense que le principal est de garder le contact autant que possible. Nous ne savons pas combien de temps cette situation va durer et dans quelles circonstances. Il me semble donc important de réfléchir à des alternatives pour que nous puissions continuer nos activités avec vous. [112]

Les travailleurs du Casi, quant à eux, ont poursuivi leur travail en adoptant le télétravail et en aménageant les espaces dans les locaux de l’association. Les horaires ont été adaptés, et de nouvelles formes de communications et d’organisation du travail ont été adoptées. Les réunions d’équipe se sont déroulées en ligne, à une cadence plus soutenue qu’en temps normal, pour combler le fait de ne plus se voir entre deux portes pour se tenir au courant de l’avancée de différents projets et questions, voire simplement, maintenir un contact humain. Ceci pour la contextualisation de comment le Casi œuvrait auprès de son public au moment de la réalisation de cette petite enquête. Globalement, les personnes interrogées semblent satisfaites du soutien octroyé par le Casi et décrit ci-dessus. Le fait de garder un contact régulier a été très apprécié et la plupart des personnes voient dans le maintien des relations une forme concrètes de se soutenir les uns les autres, pour lutter contre l’isolement et s’octroyer des espaces d’expression. « Garder le contact » est la réponse la plus fréquente que nous avons reçue à cette dernière question du questionnaire.

Il faut rester en contact avec le sourire. [113]

[Le Casi peut apporter] du soutien moral, garder les contacts, discuter. Il suffit de petits gestes pour changer nos journées.[114]

Rester en contact avec nous comme on fait déjà, faire des appels de groupe, visites à domicile à distance. [115]

Garder le contact est très important…même le coup de fil signifie beaucoup ![116]

Pour le moment je suis contente d’avoir même comme ça un contact avec vous et je suis sûre que vous allez trouver des solutions pour aider les personnes et je vous remercie. [117]

Si certains groupes auraient aimé que l’on organise plus rapidement des rencontres en présence, en maintenant les mesures de sécurité, nous avons attendu l’allègement des mesures de confinement, d’autant plus que celles et ceux qui désiraient le plus se voir en groupe étaient des personnes âgées.

Venir nous voir à la maison temps en temps pour se voir en chair et en os et discuter, tout en gardant les mesures de sécurité.[118]

F., faisant partie du groupe des anziani, propose, pour combler les difficultés rencontrées pendant le confinement en termes d’isolement, a fortiori pour les personnes âgées, pour le futur, que le Casi « apprenne l’ordinateur » au groupe, pour pouvoir plus facilement s’adapter à ce genre de situations extrêmes. [119] N., spécialisée dans la question du décrochage scolaire, suggère que le Casi mise à l’avenir sur la lutte contre la fracture numérique, en pendant, ici, en premier lieu aux jeunes.

Je pense à une initiation au numérique, pour les parents, rassembler des outils pédagogiques numériques pour familiariser les enfants… [120]

Plus d’une personne se sont montrées disponibles pour s’investir avec le Casi pour faire face aux différentes problématiques ayant émergé avec la crise.

Je me mets à disposition pour venir aider les enfants. [121]

Pour m’accompagner moi personnellement, je ne vois pas ce que le Casi pourrait faire… Par contre, je suis sûre que vous allez mettre de belles activités en place pour continuer le travail d’éducation permanente ! La société en a plus que jamais besoin. Si par contre vous avez besoin de choses particulières et que je peux apporter mon soutien d’une manière ou d’une autre, je suis partante. [122]

Comme cela avait émergé plus tôt dans le questionnaire, si le besoin de maintenir et de renforcer des liens pour se soutenir au sein du Casi est manifeste, plus d’une personne pense à celles et ceux se retrouvant dans une situation plus fragile encore qu’elles-mêmes, et voient dans le Casi une structure qui pourrait soutenir différentes initiatives de solidarité.

Moi je vais relativement bien, mais beaucoup d’entre nous auront des difficultés avec le travail et donc nous devons étudier de déployer plus de solidarité. [123]

Au niveau personnel, le Casi et les activités menées par ses membres m’ont apporté un soutien énorme pendant ces mois-ci. De ce point de vue, l’association a démontré pleinement son potentiel communautaire et le fait qu’elle soit, par nature, un dispositif de socialisation. Je suis donc convaincu que le travail qui y est et sera mené consolidera pour la suite le rôle social et culturel de l’association, ainsi que son rôle de référent pour la communauté italienne résidant à Bruxelles. [124]

Personne n’a demandé au Casi une aide matérielle, mais plutôt un soutien moral. On l’a vu, le fait de maintenir des relations de groupe a été très précieux pour les personnes fréquentant le Casi. Plus d’une personne, en plus de faciliter l’accès à des informations de qualité, proposent que le Casi continue ses activités dans une dynamique d’émancipation collective, mais aussi que de nouvelles réflexions soient investies, dans la perspective de s’octroyer des outils pour affronter la crise à venir.

Le Casi a fait beaucoup pour moi et je le remercie. Je peux marcher avec les deux jambes. Ce que j’aimerais faire c’est faire des rencontres avec des spécialistes, des économistes, pour mon idéal, un changement radical de la société, l’éradication de la pauvreté. [125]

Pour moi… des réunions et des débats thématiques. Des spectacles aussi et des ateliers et animations de conscientisation. Des expositions d’arts. Je suis aussi intéressée à participer à des rencontres comme l’année passée d’autoformation, les focus groupe. [126]

En partant de l’idée que le Casi fait déjà beaucoup, certaines choses pourraient être développées. Par exemple, ça me plairait de renforcer les permanences sociojuridiques. Il y a une nouvelle génération de migrants, de laquelle je fais partie, qui ne fera que grossir avec la crise pandémique et qui aura toujours plus besoin de soutien de la part de la communauté italienne à l’étranger. De mon expérience, malheureusement, la solidarité entre compatriotes ne se crée pas de manière spontanée, mais bien plutôt des rivalités. Créer un réseau associatif, qui puisse jouer le rôle de médiateur entre les individus et le pays d’arrivée, surtout dans les premiers temps de la migration, serait une aide énorme et précieuse. [127]

 

Conclusion 

Il serait aventureux de prétendre tirer des conclusions hâtives quant à l’état des personnes proches de notre association, ces quelques pages montrent combien les situations et les ressentis peuvent différer d’une personne à l’autre. Il n’empêche. Quelques tendances émergent. Tout d’abord, nous constatons une plus grande loquacité de la part de celles et ceux que nous avons interrogés lorsqu’il s’agit de faire état des difficultés rencontrées que lorsqu’il s’agit de trouver des avantages au confinement. Les problèmes ayant émergé pendant cette crise semblent donc plus nombreux que les points positifs. Que ce soient des difficultés économiques, des soucis liés au travail ou des embarras de santé, une grande majorité des personnes que nous avons écoutées a été impacté négativement par le confinement. Les problématiques d’ordre psychologiques, stress, angoisse, peur, dépression, sont très nombreuses et communes et ne peuvent dès lors être abordées que sous un angle collectif. Qui pourrait voir la détresse d’un de ces jeunes immigrés italiens, vivant pour la plupart dans une précarité économique, loin des leurs, avec peu d’outils pour comprendre la société dans laquelle ils se retrouvent bloqués, comme une détresse individuelle ? Qui pourrait voir la peur d’une des personnes âgées fréquentant le Casi, se sentant isolées, déconsidérées, fragiles, responsables pour les générations futures, comme une peur individuelle ? Qui pourrait voir la fatigue d’un parent assigné à résidence avec des enfants déscolarisés pendant plusieurs mois, devant soudainement adapter leur travail à leur espace domestique, ou faire face à la préoccupation de pouvoir payer les factures en fin de mois, comme un épuisement individuel ? Les témoignages nous montrent combien cette période est chargée de préoccupations.

Des notes plus positives émergent cependant dans les récits. Plus que le temps retrouvé, il nous semble que ce qui a pu apporter de la fraîcheur à ces durs mois printaniers, c’est le changement de rythme, la remise en question totale de certains comportements, perdant soudainement toute leur substance : la course au travail, le stress, la consommation, la production, la recherche d’emploi. Ce « retour à l’essentiel » est très concret et a mené les personnes à se poser des questions profondes et intimes : qu’est ce qui est important, qu’est ce qui ne l’est pas, et pourquoi ? En parallèle, les médias et les dirigeants décidaient quels métiers étaient essentiels, quels travailleurs étaient sacrifiables, quelles vies avaient plus d’importance que d’autres. On peut se demander dans quelle mesure les réponses amenées au désarroi global par les politiciens et leurs alliés les grands industriels, sont en opposition frontale avec celles que nous ont confiées les personnes que nous avons interrogées.

Nous ne pouvons savoir quel sera le monde de demain. Nous ne pouvons que chercher à le construire, ensemble. Réaliser ce simple questionnaire nous conforte dans l’idée qu’il est nécessaire d’enquêter, de poser les questions, même les plus simples, aux personnes, même les plus simples. Les solutions à la crise ne tomberont pas du ciel. Les petites gens ne pourront pas éternellement être ignorées, et nous voyons ici combien il est clair pour toutes et tous que les plus irresponsables ne sont pas ceux que l’on veut nous faire croire à coup d’amendes, de répression policière et de restriction budgétaire. Il ne fait aucun doute qu’un chantier s’ouvre devant nous. De ce questionnaire il ressort que la mission du Casi de mettre les gens ensemble et de favoriser la prise de parole, le débat et l’(auto)formation est plus que jamais d’actualité.

Nous avons été surpris de recevoir autant de participation à cette petite enquête, nous espérions initialement récolter une quinzaine de témoignages, nous en avons reçu près d’une cinquantaine. Ceci nous montre qu’en tant qu’association, nous avons une solide base sur laquelle nous pouvons compter pour aller de l’avant. Cette confiance réciproque se doit d’être honorée et nous utiliserons au mieux ces précieux témoignages pour construire nos actions futures.


[1] Nad. PDR.

[2] Ros. PDR.

[3] Nic. TDC.

[4] Sar. TDC.

[5] Giu. SPO.

[6] Dya. SPO.

[7] Mar. SPO.

[8] Alf. ANZ.

[9] Val. TDC.

[10] Edo. TDC.

[11] Fra. TDC.

[12] Mar. SPO.

[13] Ann. TDC.

[14] Alf. ANZ.

[15] Ger. ANZ.

[16] Pin. ANZ.

[17] Car. et Ang. PDR.

[18] Ros. PDR.

[19] MRT. EQU.

[20] Emm. TDC.

[21] Alf. ANZ.

[22] Gin. ANZ.

[23] Dom. ANZ.

[24] Nad. PDR.

[25] Alf. TDC.

[26] Edo. EQU.

[27] Ari. TDC.

[28] Mar. SPO.

[29] Ang. TEA.

[30] Gin. ANZ.

[31] Sar. ANZ.

[32] Giu. TDC.; Fil. ANZ.

[33] Ann. TEA.

[34] Nic. TDC.

[35] Dya. SPO.

[36] Emm. TDC.

[37] Mar. SPO.

[38] Dya. SPO.

[39] Dav. SPO.

[40] Edo. TDC.

[41] Edo. EQU.

[42] Sar. TDC.

[43] Ari. TDC.

[44] Car. et Ang. PDR.

[45] Ros. PDR.

[46] Ann. PDR.

[47] Ros. PDR.

[48] Fra. TDC.

[49] Giu. TEA.

[50] MrT. EQU.

[51] Ros. PDR.

[52] Ann. TEA.

[53] Ang. et Car. PDR.

[54] Val. TDC.

[55] Giu. TDC.

[56] Alf. ANZ.

[57] Ste. PDR.

[58] Gin. ANZ.

[59] Ger. ANZ.

[60] Dom. ANZ.

[61] Car. et Ang. PDR.

[62] Sar. TDC.

[63] Ann. TDC.

[64] Ang. TEA.

[65] Ann. TEA.

[66] Noe. CDR.

[67] Fil. TDC.

[68] Dav. SPO.

[69] Fil. TDC.

[70] Noe. CDR.

[71] Ros. PDR.

[72] Alf. TDC.

[73] Fra. TDC.

[74] Car. et Ang. PDR.

[75] Nad. PDR.

[76] Ari. TDC.

[77] Ger. CAS.

[78] Dya. SPO.

[79] Noe. CDR.

[80] Anf. TEA.

[81] Ann. PDR

[82] Ver. CDR.

[83] Fil. TDC.

[84] Dav. SPO.

[85] Fr. TDC.

[86] Cla. EQU.

[87] Ger. EQU.

[88] Dav. SPO.

[89] Nad. PDR.

[90] Mar. PDR.

[91] Pin. ANZ.

[92] Pin. PDR.

[93] Alf. TDC.

[94] Sar. TDC.

[95] Ros. PDR.

[96] Fil. TDC.

[97] Nic. TDC.

[98] Ann. TEA.

[99] Edo. TDC.

[100] Car. et Ang. PDR.

[101] Pin. ANZ.

[102] Emm. TDC.

[103] Ric. SPO.

[104] Noe. CDR.

[105] Ang. TEA.

[106] Ann. TDC.

[107] Fil. TDC.

[108] Pin. PDR.

[109] Ang. PDR.

[110] Ger. ANZ.

[111] Giu. SPO.

[112] Giu. TEA.

[113] Dom. ANZ.

[114] Gin. ANZ.

[115] Pin. ANZ.

[116] Ann. PDR.

[117] Mar. PDR.

[118] Gin. ANZ.

[119] Fil. ANZ.

[120] Noe. CDR.

[121] Ver. CDR.

[122] Isa. CDR.

[123] Emm. TDC.

[124] Nic. TDC.

[125] Ric. SPO.

[126] Cat. SPO.

[127] Sar. TDC.