« Nous, les vieux, les pivots d’une génération »

L’activité atelier média réunit des personnes retraitées, ayant entre 50 et 80 ans, issues principalement des deux vagues d’immigration italienne de l’après-guerre et des années ’70 et du milieu ouvrier. Originaires pour la grande majorité du Sud de l’Italie, il s’agit d’acteurs sociaux participatifs, très actifs dans notre association, qui se rencontrent régulièrement et s’engagent activement et volontairement dans la mise en place de projets communs.

Au jardin de la Maison d’Erasme (11/05/21)

Malgré les difficultés rencontrées pendant la crise sanitaire, nous avons adapté nos rencontres et avons gardé un contact régulier avec le groupe, désireux de continuer à se réunir, bien que virtuellement, afin de pouvoir partager leurs vécus, leurs inquiétudes et leurs questionnements. Il est évident que la crise sanitaire a pris une place importante des discussions et c’est de là que le groupe a exprimé le souhait de réfléchir et d’écrire ensemble sur l’impact que la pandémie a eu en particulier sur les personnes âgées. Que cela veut dire d’être une personne âgée en temps de crise ? D’avril à juin 2021, à l’aide de différents médias (articles, films, podcasts, etc.), nos rencontres ont été consacrées donc à l’approfondissement de cette question qui n’a fait qu’en ouvrir d’autres. De fil en aiguille, les sujets de discussion se sont élargis en nous amenant à considérer plus en général le regard que notre société porte envers les seniors. Nous avons parlé d’âgisme et de stéréotypes, de comment ces derniers s’entremêlent avec d’autres types de discriminations, des disparités d’âge en fonction de la classe sociale et de son pays de provenance, de la notion de « génération » et des enjeux politique qu’elle peut cacher…De ces discussions a vu le jour un texte collectif puissant qui témoigne des tensions vécues par nos seniors. Bonne lecture !

« Nous, les vieux, les pivots d’une génération »

Définitions :

OMS : une personne âgée est une personne ayant dépassé l’espérance de vie attendue à sa naissance.

Dictionnaire Larousse : un vieux est une personne avancée en âge qui présente les caractères de la vieillesse.

Ça veut dire tout et rien !

Qui sommes-nous ? Que cela signifie d’être vieux ? A quel âge devient-on vieux ?

J’ai 80 ans, je suis maman, mamie et vieille.

J’ai 58 ans, je suis indépendante, dynamique et…vieille.

J’ai 67 ans, je suis active et…vieille.

J’ai 83 ans, je suis bricoleur et…vieux.

Apparemment nous sommes des vieux, au moins c’est ce qu’ils disent. Encore mieux, des seniors, un mot largement privilégié afin d’éviter tout conflit.

Pourtant, nous nous considérons des jeunes, en tous cas assez jeunes pour avoir notre mot à dire et occuper une place dans cette société. Notre horloge biologique entame une nouvelle étape de notre vie! Certes, la fatigue commence à se faire sentir après toutes ces expériences vécues et toutes ces années de travail…

Nous avons consacré notre jeunesse à travailler pour la société. Cette même société qui décide selon les gouvernements jusqu’à quelle date nous devons nous y plier afin de toucher le saint graal, notre pension. Celle-ci varie depuis un certain temps, selon les différents pays d’Europe, entre 62, 65 ou 67 ans sans oublier que l’on ne peut s’arrêter qu’après une carrière complète, variant elle-aussi.

C’est là qu’on devient vieux ? A partir de la retraite ? Aujourd’hui celle-ci est à 67 ans. Par rapport à ceux qui l’ont eu dans les années 90, nous sommes chanceux, nous avons gagné sept ans de jeunesse !

Ou alors on ne devient vieux que quand on arrive à la fin de ses jours et le cerveau arrête de fonctionner ? La vieillesse arriverait donc sur la pointe des pieds, inattendue, au moment où nous ne serions plus capables de réfléchir indépendamment et nos enfants seraient obligés de s’occuper de nous.

Quelle importance l’âge…parfois elle devient aussi un critère de hiérarchisation de la valeur de la vie. Pensez à certaines situations de pénurie où il y a une rareté des biens à distribuer, pensez à la crise sanitaire que nous venons de vivre et vivons encore durant laquelle les respirateurs et les lits d’hôpitaux sont devenus des biens rares réservés aux plus jeunes au nom d’un principe « d’égalisation des longévités ».

Nous vivons dans une société de type guerrière où la jeunesse, l’action, l’efficacité et le travail sont des valeurs exaltées et dans laquelle le « vieux » est perçu à la fois comme improductif, inutile, économiquement dépendant, à la « charge » des générations suivantes.

On dit de nous tout un tas de choses…on dit de nous que nous sommes lents et fragiles mais, enfin, nous allons à notre propre rythme. De lents et de fragiles, il y en a de tous les âges. L’important c’est de ne pas généraliser et de ne pas utiliser la prétendue fragilité comme une excuse pour isoler des personnes.

On dit de nous que nous ne comprenons pas…oui parce qu’on comprend ce que nous voulons comprendre, le reste est peut-être inutile!

On dit de nous que nous sommes un poids de la société…après tant d’années de travail acharné ? Sans compter que nous continuons à être des ressources pour nos entourages, nos familles et, surtout, pour nos petits-enfants. Nous sommes des petites mains gratuites.

Tant d’étiquettes…alors que nous, nous sommes conscients de notre parcours,

Nous sommes avant tout des êtres humains, des personnes, des citoyens qui ont encore un rôle à jouer dans cette société,

Nous avons nos mots à dire et sommes actifs,

Nous sommes témoins d’une mémoire collective et sentons le devoir de transmettre et de partager nos savoirs.

Ce qu’être vieux, on ne le sait pas. La réalité change en fonction des interprétations et des yeux qui la regardent, chacun vit et accepte la vieillesse à sa manière.

L’âge, pour nous, les vieux, ne compte pas, ce n’est qu’une construction sociale…